Je ne pensais pas, avant d’entrer dans les entreprises, que les valeurs pouvaient être aussi mal comprises et créer tant de désengagement, de démotivation chez les collaborateurs, et parfois même de méfiance chez les clients.
Pourtant, je ne compte plus le nombre de fois où face aux valeurs affichées d’une entreprise, les collaborateurs m’ont dit : « Ca, c’est de la com’. C’est pour l’extérieur ». Voilà les dirigeants qui se retrouvent régulièrement face à une démobilisation, à l’endroit précis où ils voulaient mobiliser.
Pourquoi donc ? Comment éviter cela ? Dans cet article je vais vous exposer les erreurs à éviter pour faire des valeurs de l’entreprise un vrai levier de mobilisation.
D’abord, les valeurs ne sont pas des mots éthérés. Dans n’importe quelle culture, les valeurs correspondent au contraire à ce qui est non négociable.
Elles sont omniprésentes dans tous nos choix. C’est ce qui est le plus important pour nous, ce qui guide nos actions, consciemment ou non, et ce que nous sommes prêts à défendre. Vous comprenez donc pourquoi une erreur sur ce niveau aussi fondamental peut se révéler dévastateur… Une simple erreur et vous heurtez alors le cœur même de votre entreprise…
Voici les erreurs les plus communes à éviter :
1. Un mode de sélection et de communication des valeurs inadapté
Le problème le plus régulier que j’observe est lié à la manière de déterminer les valeurs et de les communiquer. Dans de trop nombreux cas, soit la direction a décidée des valeurs, soit un consultant a fait passer un questionnaire interne pour les définir.
- Dans le premier cas, il est réaliste de penser que les valeurs déterminées sont plus aspirationnelles que réelles. Les dirigeants ont certainement souhaité donner une direction avec ces valeurs. Cependant, si les collaborateurs peuvent adhérer à la vision, ils ne voient pas comment ces valeurs s’appliquent au quotidien dans leur métier ni dans l’organisation.
En effet, le concept de valeurs ne parle pas d’une aspiration pour le futur mais bien des principes qui nous guident dans le présent, ou plus précisément ce qui fait le lien entre les deux.
Trop focalisé sur le futur, les collaborateurs se sentent en décalage, car dans leur quotidien, ces valeurs choisies sont souvent bien loin de ce qu’ils vivent.
Si les collaborateurs n’arrivent pas à faire le lien entre les valeurs affichées et ce qu’ils vivent au quotidien, alors au mieux, ils considéreront le tout comme une opération de com’, et au pire, ils se sentiront incompris et démotivés.
- Dans le cas du questionnaire, malheureusement, le taux de répondants est généralement bas, rendant les résultats peu fiable au regard de la représentativité. De plus, la méthode même du questionnaire rend difficile l’atteinte d’une chose aussi intime et complexe que les principes moraux qui dirigent nos décisions au quotidien. Ce sont là des réflexions profondes, déjà difficiles à déterminer pour chacun, multiples, et changeantes selon les contextes… Procéder par questionnaire ne donne donc que des résultats souvent à côté des valeurs réelles de l’entreprise, celles qui sont vécues par les collaborateurs au quotidien.
D’abord, pour se mettre d’accord sur des concepts collectifs aussi profonds, il faut aussi une vraie méthodologie analytique qui dépasse la facilitation. D’ailleurs en anthropologie, nous devons déterminer les valeurs des groupes pour les comprendre, et cela ne consiste pas du tout à mettre tout le monde autour d’une table en leur demandant quelles sont leurs valeurs… Demander aussi simplement à un groupe quelle est sa culture, c’est comme demander à un poisson dans quel type d’eau il vit.. C’est impalpable, intangible, et ça n’a aucun sens pour lui. Pour révéler ce qui est inconscient, il faut un œil extérieur qui va observer et analyser le groupe quelque temps avant de pouvoir révéler ce qui pour l’instant est invisible. Les méthodes de design sont utiles, je les utilise moi même dans mes ateliers, mais en termes de culture, elles ne suffisent pas.
Un jeune directeur d’association en a malheureusement été victime.
Tout juste arrivé mais déjà aux prises avec les difficultés financières de celle-ci, il a récupéré les résultats d’ateliers sur les valeurs qui venaient d’être réalisés. Pour tout livrable des ateliers, ils se retrouvait avec un graphique de 5 mots représentant leurs valeurs, avec chacun une jauge plus ou moins haute ainsi qu’un dessin représentant le mot. Des mots aussi polysémiques que respect ou soutien…
Les responsables qui avaient participé se retrouvaient bien en difficulté pour restituer aux autres collaborateurs ce sujet des valeurs.
Ces responsables se sont alors heurtés à la complexité de cet élément culturel, que même les spécialistes prennent avec beaucoup de précautions. Difficile de faire quoi que ce soit avec ces quelques mots, car les vraies valeurs fondamentales d’une entreprise ne sont pas si simples à révéler.
De plus, nous ne mettons pas toujours tous le même sens derrière un même mot… Il arrive également que l’on cherche à exprimer la même chose avec des mots différents… Ces complexités peuvent même se cumuler rendant tout cela plus difficile encore. La méthode utilisée est ainsi cruciale dans la réussite de ce travail tout comme la compréhension profonde du concept.
2. Les valeurs choisies ont l’effet inverse
Quelle que soit la méthode choisie, les valeurs que l’on en ressort sont en fait souvent aspirationnelles. C’est un problème non plus seulement lié à la méthode mais à la valeur choisie elle-même. C’est à dire qu’elles ne décrivent pas ce que l’entreprise est aujourd’hui, mais ce qu’elle voudrait être. Cependant, comme dit précédemment, cela ne fait que créer un décalage entre ce que le collaborateur vit et ce qu’il serait censé vivre…
Le dirigeant d’une petite entreprise de services en a fait les frais il y a quelques années…
Un dirigeant avait décidé de mettre en avant la valeur de transparence car il faisait effectivement beaucoup d’effort sur ce point. Il se différenciait d’ailleurs de ses concurrents de cette manière, en établissant une certaine transparence sur le prix auquel étaient vendus ses consultants et sur les choix budgétaires liés à ce qu’ils rapportaient dans l’entreprise.
C’était un choix stratégique important qui attirait effectivement des consultants lassés du mode de fonctionnement traditionnel.
Cependant, hissée au rang de valeur, cette transparence a aussi créé des mécontents en interne. En effet, sur d’autres aspects de l’entreprise, pour d’autres domaines de décisions, la transparence ne s’appliquait plus du tout. Ce qui est un choix tout à fait logique, mais qui entrait en contradiction avec la valeur de transparence. Car s’il s’agissait d’une valeur profonde de l’entreprise, elle se serait appliquée partout.
Comment accepter la transparence comme valeur dans une entreprise où les collaborateurs découvrent que des informations sont volontairement cachées ?
Cette valeur était directement désavouée dans la pratique. Les collaborateurs ont considéré que cette valeur était soit incohérente soit pire, malhonnête.
Cela signifie que même si la transparence était pas un élément important pour le dirigeant et l’entreprise, ce n’était pas une valeur. L’afficher comme telle a eu des effets plus destructeurs que mobilisateurs. La volonté du dirigeant était d’impliquer les collaborateurs dans les décisions qui les concernaient, de leur donner les clés pour qu’ils prennent en main leur contrat, mais l’effet a malheureusement été inverse.
L’enseignement à tirer ici est que les valeurs ne peuvent pas être choisies par simple intuition, ou même pour des raisons stratégiques, de vision, ou autres. Elles doivent être révélées comme le socle commun qui oriente les décisions de tous, collaborateurs comme dirigeants, en profondeur. Cela est possible, et ce n’est que le début du travail. C’est ce qui nous amène ensuite à l’erreur suivante.
3. Identifier les valeurs de l’entreprise et croire que le travail s’arrête là
Une fois les valeurs profondes déterminées, le travail n’est pas terminé pour autant. En effet, le problème le plus difficile à détecter est certainement celui du décalage entre ces valeurs et la structure même de l’entreprise : ses process, ses silos, ses nouvelles orientations stratégiques….
Une entreprise m’a marquée sur ce cas.
Il s’agissait d’une belle entreprise de taille moyenne qui voulait mettre son client au cœur de tout. Après diagnostic, les collaborateurs étaient vraiment très alignés avec cette volonté et tous partageaient ce credo. Les valeurs fortes vécues par les collaborateurs dans leur quotidien étaient très proches de cette démarche.
Ils étaient tous engagés dans le service aux autres et formaient une chaîne de service jusqu’au client final : de la compta au service des achats, des achats au service de la maintenance, de la maintenance au service de la production, de la production au service client. Être utile dans cette chaîne était une motivation très profonde chez eux. Plus encore, être au service du client était comme une vocation. Dans leur idéal, le client était vraiment au cœur de leur entreprise.
Cependant, une entreprise ne se construit pas de manière idéale mais bien en fonction du réel : par l’histoire de l’entreprise, par les réglementations du secteur, par l’évolution des tendances, par les crises de l’environnement…
Autrement dit, si dans l’idéal le client était au cœur des préoccupations et de l’éthique des collaborateurs, il n’était clairement pas au cœur de la structuration réelle de l’entreprise.
Si ces valeurs sont bien ce qui motive les collaborateurs et restent leurs piliers qui guident leurs prises de décisions, la structure qu’ils vivent au quotidien n’est pas du tout construite sur cet idéal. Il n’y a pas de blâme ici, c’est simplement un état de fait : l’idéal a évolué plus vite que la structure, qui doit aussi intégrer de nombreuses contraintes de son environnement. Pour réellement mettre en place ces valeurs fondamentales et cette raison d’être, cette entreprise a réalisé une transformation complète et profonde avec ses valeurs fondamentales comme boussole.
De la même manière, pour votre entreprise, les valeurs profondes doivent être alignées avec votre structure et refléter pleinement l’idéal de l’entreprise et de ceux qui la font vivre chaque jour. Ce sont ces valeurs qui guideront l’avenir de l’entreprise. Avec la raison d’être, elles en sont le cœur.
Si vous redessinez l’entreprise autour de ce cœur, c’est toute votre organisation qui en sortira gagnante : elle sera plus flexible, et plus résiliente. Pour vos équipes, les changements ne seront plus vus comme des contraintes mais comme des évidences, nécessaires pour que l’entreprise remplisse sa mission de la meilleure manière qui soit. Mobiliser les collaborateurs autour d’un projet deviendra alors simple car ils s’investiront naturellement dans la mise en œuvre des changements et en deviendront des moteurs en proposant des pistes d’amélioration.
Cette approche par les valeurs est pour nous la clé pour que les entreprises soient résilientes et sereines face aux changements. C’est pourquoi j’ai mis au point un protocole complet qui permet d’explorer la culture des organisations en profondeur, grâce à l’anthropologie.
Vous l’aurez compris, j’adore discuter de culture d’entreprise, alors pourquoi pas prendre quelques minutes pour discuter de la vôtre ?
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